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Journée d'étude du CERLI - juin 2005

Représentations du corps dans le fantastique et la science-fiction
(littérature et arts visuels): figures et fantasmes (II)

Samedi 5 juin 2005 - Ecole normale supérieure - Salle Dussane - Accueilli par SFPhi - Dir. Sylvie Allouche

Programme
Corps fantastique et psychisme : trans-figurations
sous la présidence d'Anne Besson
 
13h20-14h00 Claire Garand - L'érotisation du corps féminin comme vecteur de fantastique chez André Hardellet
14h00-14h40 Michael Cowan - Alfred Kubin et l’art fantastique comme "psychographie"
14h40-15h20 Regina Patzak - Les cheveux blancs dans la nouvelle "L´Auberge" de Maupassant: question de fantasme, de folie ou de jalousie ?

Le corps fantastique : autour de Borgès
sous la présidence de Sylvie Allouche
 
15h30-16h10 Laurence Kohn-Pireaux - Le Corps et Livre maudits dans quelques contes fantastiques d'Howard Phillips Lovecraft et de Jorge Luis Borges
16h10-16h50 Benoît Trudel - Corps simulés, corps imaginés : La problématique de l’existence abstraite dans les récits de Silvina Ocampo et de Adolfo Bioy Casares

Le corps fantastique au cinéma
sous la présidence de Simon Bréan
 
17h00-17h40 Pierre-Olivier Toulza - Le corps spectralisé dans le cinéma fantastique : l’exemple de Clint Eastwood metteur en scène
17h40-18h20 Franck Thibault - Humain/inhumain : la question de l’œil dans Blade Runner de Ridley Scott.

Résumé des communications

Corps fantastique et psychisme : trans-figurations
L'érotisation du corps féminin comme vecteur de fantastique chez André Hardellet,
par Claire Garand

Je pars du constat que plusieurs romans d'Hardellet s'attardent sur la représentation du corps féminin dans un but bien précis : ces corps sont représentés de manière très érotisée pour mettre en évidence l'émerveillement très puissant qu'ils provoquent chez les autres personnages au point de faire vaciller les frontières entre le réel et l'imaginaire et entre les temporalités. C'est ce mode d'action que je me propose d'analyser principalement à travers la représentation du personnage de Lady Long Solo dans le récit éponyme, des baigneuses d'Idalie dans Le seuil du jardin et de Germaine dans Lourdes, Lentes, le roman qui lui a valu une condamnation pour outrage aux bonne moeurs en 1974. Dans ces récits, j'étudie plus particulièrement le double effet provoqué par la représentation érotique : d'une part l'effacement des frontières et d'autre part la création d'un pont entre les dimensions réelle et imaginaire. J'analyse les modes de représentations principalement utilisés pour parvenir à ce résultat : suggestion sensuelle du non-représenté ou simultanéité de toutes les représentations d'une même femme. Je montre que ces deux modes relèvent d'un présupposé identique : une conception particulière du réel en plusieurs dimensions éparpillées dans le temps que l'émerveillement devant le corps féminin permet de faire communiquer. Lorsque le réel retrouve sa plénitude il touche au fantastique. Le corps érotisé n'est donc qu'un instrument au service de la mise en place du fantastique.
Oeuvres : Le seuil du jardin (1958), Lourdes, lentes (1969), Lady Long Solo (1971)
 

Alfred Kubin et l'art fantastique comme "psychographie", par Michael Cowan (BTWH: The Emergence of Modernity, Vienne)

Romancier, dessinateur et illustrateur de livres, Alfred Kubin (1877-1959) est sans doute le plus connu des représentants autrichiens de l'art fantastique. Dans cette communication, je me propose d'analyser sa conception de l'esthétique fantastique ­ conception tout à fait « corporelle » ­ en m'appuyant sur une lecture de son roman célèbre Die andere Seite (L'autre côté, 1909), ainsi que de certaines de ses illustrations. Mon interprétation se concentrera, en particulier, sur la notion de « psychographie » (Psychographik) proposée par le narrateur du roman (qui est, comme l'auteur lui-même, illustrateur de littérature) pour désigner sa propre activité artistique. Comme l'étymologie du mot le suggère, la « psychographie » équivaudrait à une traduction de données psychiques en dessin ou, selon une autre formule de Kubin, à un « sceau de l'âme » (Siegelabdruck der Seele). Or, une telle objectification de l'âme ne peut pas se produire dans un art réaliste ; comme Kubin l'explique dans un autre texte sur son activité d'illustrateur, il faut plutôt une esthétique « symbolique » par lequel l'artiste « donne corps » aux pensées qui le hantent. Die andere Seite se laisse interpréter ­ voilà une de mes thèses ­ précisément comme la représentation d'une telle « mise en corps » des données psychiques : dans le récit fantastique du narrateur, les corps raffinés du « peuple aux yeux bleus » (Blauäugigen) qu'il rencontre lors de son séjour dans le « royaume des rêves » (Traumstaat), ainsi que le corps de leur rival, l'entrepreneur sportif « Herkules Bell », symbolise des états d'âme ou des phénomènes spirituels propres au narrateur. Autrement dit, la représentation des corps dans Die andere Seite suit une logique allégorique. En effet, dans sa mise en scène de la bataille apocalyptique entre Bell et le roi du royaume fantastique, Patera, Kubin reprend la forme allégorique la plus célèbre du Moyen Âge : celle de la « Pyschomachie » de Prudentius, où le narrateur raconte des batailles entre des personnages symboliques incarnant des forces antagonistes dans son âme. Comme dans les manuscrits de Prudentius, les illustrations chez Kubin font partie d'une esthétique sensuelle, voire « corporelle », qui ne s'adresse pas à l'intellect du lecteur, mais à son imagination (Fantasie en allemand), lui fournissant une sorte de théâtre interne pour « donner corps » aux forces psychiques.

Pourtant, si la stratégie allégorique de Kubin remonte au Moyen Âge, Die andere Seite ne représente pas pour autant une tentative d'échapper au monde moderne en se réfugiant dans un passé lointain. Au contraire, tandis que les personnages de la « Psychomachie » représentent des vices et des vertus médiévaux, Herkules Bell et Patera incarnent des pôles d'un débat central à l'époque de Kubin, débat directement impliqué dans la production et l'interprétation des corps autour de 1900 :  à savoir le débat qui oppose l'esthéticisme contemplatif et « neurasthénique » cultivé par les artistes à la fin du 19ème siècle à la valorisation de l'énergie et de l'action incarnée par Bell. De même, la notion d'une objectification « corporelle » des données de l'âme fait elle-même écho à un discours actuel au début du vingtième siècle. Dans leurs célèbres « Etudes sur l'hystérie » (Studien über Hysterie) de 1895, Josef Breuer et Sigmund Freud décrivent en effet les symptômes corporels des hystériques précisément comme des objectifications « allégoriques » des traumatismes psychiques qui possèdent leurs patients. Or, cette sorte de « possession » se retrouve au centre du récit de Kubin, où Patera et Bell exercent tous deux une force hypnotique mystérieuse sur les habitants du royaume des rêves, et en particulier sur le narrateur. En poursuivant cette question de l'hypnose et de la possession dans le roman, je voudrais donc montrer que la question de la « psychographie » chez Kubin est étroitement liée à un discours scientifique sur le corps autour de 1900.

Ouvres traitées : Alfred Kubin, L'autre côté (Die andere Seite) et sélection de dessins

 
Les cheveux blancs dans la nouvelle L´Auberge de Maupassant: question de fantasme, de folie ou de jalousie ?, par Regina Patzak (VHS IX, Vienne)

Basé sur la nouvelle maupassantienne L'Auberge (1886), le thème du double typique de la littérature fantastique du XIXe siècle sera étudié sous l'angle de la métamorphose d´un jeune homme qui devient vieillard avec ses cheveux blancs. Les cheveux renferment la force de l´homme et leur importance se reflète dans beaucoup d´expressions dans plusieurs langues ( un cheveu dans la soupe etc. ). Plusieurs tableaux ( comme l´illustration « Le Horla » de Julian- Damazy, « Le Portrait de Dorian Gray », « Le Portrait Double » de Hans von Marées ) reprennent la métaphore du miroitement et du miroir modifiés dans notre ouvre puisque le jeune Ulrich perd son ami, le vieux Gaspard dans la neige. Dans notre cas, la duplicité fait place à la scission. Le double réel existe avant la disparition de Gaspar, dans le sens que deux personnes vivent dans l´auberge. Le double par substitution se mêle au double par introspection comme la peur de la solitude se transformera en hallucinations et en folie. La question, sans doute grâce à Freud et ses explications de l´alter ego, restera universel et intemporel. Dans une approche psychologique - littéraire, on prendra en considération le décor de l´histoire ( le glacier, la neige , l´hiver ) et les couleurs significatifs . En particulier le tableau « Les 3 sphinx de Bikini » de Salvator Dali ( 1949 ) reprend l´opposition été/ hiver - vert/ blanc - jeune / vieux et méritera notre regard artistique, comme transposition surréaliste de notre sujet.

 
Le corps fantastique : autour de Borgès

Le Corps et Livre maudits dans quelques contes fantastiques d'Howard Phillips Lovecraft et de Jorge Luis Borges, par Laurence Kohn-Pireaux (Université Nancy 2)

En 1974 paraît, dans le recueil borgésien intitulé Le Livre de sable, une nouvelle, ou conte fantastique, en hommage à l'écrivain Howard Phillips Lovecraft, "There are more things". Bien qu'il ne soit pas question de revendiquer une influence décisive de Lovecraft sur Borges, on peut dire que "le reclus de Providence" laisse néanmoins son empreinte sur l'écrivain argentin, en particulier grâce à l'évocation d'un Livre étrange, unique et maudit : le Necronomicon est l'un de ces Livres tant recherchés dans l'ouvre de Lovecraft. Or ce Livre, chez les deux écrivains, entretient une étroite connivence avec le corps de certains personnages dont le rôle réside précisément dans la quête de celui-ci. Si le corps, dans les ouvres de Borges et de Lovecraft, a été étudié sur un plan psychologique et psychanalytique (travaux de J. Woscoboinik et D. Anzieu sur Borges; travaux de William Schnabel sur Lovecraft, pour ne citer que quelques critiques), il l'a moins été, en revanche, sur cette étrange filiation entre le corps et le Livre. Le livre semble faire partie du personnage : chez Borges, le personnage est en quête du Livre des Livres depuis l'éternité ("La Bibliothèque de Babel"), et son corps accepte le mal-être permanent, à cause du Livre : il justifie la quête et les souffrances physiques et morales qui l'accompagnent. Dans L'Abomination de Dunwich, le personnage du jeune Whateley est sous l'emprise, guidé son grand-père et par son père maudit, du savoir recelé notamment dans le Necronomicon, savoir qui justifie, là encore, son existence car il est la condition de celle-ci.

Une forme de déterminisme est à l'ouvre : dans Le Festival (1923), le narrateur, de retour à Kingsport, près d'Arkham, est attendu par de lointains ascendants, et son corps semble reconnaître les étranges pratiques, la célébration inquiétante autour du Necronomicon, par exemple ; des phénomènes de paramnésie similaires, toujours à propos du Livre, sont repérables dans l'ouvre lovecraftienne. Dans L'Affaire Charles Dexter Ward (1927), le corps du narrateur subit une mutation hideuse et inquiétante, en même temps qu'il est possédé par son ancêtre, le sorcier Joseph Curwen. Les narrateurs borgésiens quant à eux, s'ils ne se transforment pas en créatures reptiliennes, deviennent malades par le contact avec le Livre interdit ("Le Livre de sable"), objet qui menace leur intégrité physique et mentale, alors même qu'ils savent souvent que leur destin est de rester, comme le dit le titre d'un poème de Borges "Le Gardien des livres". Corps et Livre fusionnent donc, en raison d'un passé obscur, mais lointain et puissant. Le Livre, en outre, est lié - comme par un cordon ombilical - au corps qui lui appartient et réciproquement : le Livre magique et démoniaque possède souvent une reliure en peau humaine chez Lovecraft ; bien plus, chez les deux auteurs, il paraît doué d'une vie propre, notamment parce qu'il est capable d'exercer une influence décisive sur ses détenteurs.

En amont, le phénomène se poursuit. Le personnage est en quête d'un double, et plus généralement d'immortalité, qu'il cherche dans le Livre ; grâce au Livre, son corps se dédouble et parfois se démultiplie, phénomène sensible chez Lovecraft, que Borges reprendra et auquel il donnera une dimension plus vertigineuse; mais la possession, même partielle, du Livre sonne alors pour le corps comme une condamnation. Whateley dans L'Abomination de Dunwich meurt dans des circonstances atroces, après avoir trouvé une partie des pages qu'il recherchait avec une frénésie confinant à la folie. Dans "Le Sud" de Borges, le livre emporté par le narrateur (autre version du Livre infini, puisqu'il s'agit des Mille et Une Nuits) le mène vers une issue fatale. Dans "Le Jardin aux sentiers qui bifurquent" (Fictions), le livre qui contient tous les autres, découvert par un orientaliste de génie, le conduit à la mort. Après avoir composé son Ouvre, et peut-être tous les chefs d'ouvre de l'univers, Homère appartient "à la race bestiale des Troglodytes", "à la peau grise, à la barbe négligée, nus", qui vivent dans des grottes, se nourrissent de serpents, et semblent avoir perdu l'usage de la parole. La différence, ici, avec les personnages de Lovecraft, c'est qu'Homère a davantage choisi son destin ("L'Immortel", L'Aleph).

Cette forme de "fatalité" réunissant le corps et le livre mérite donc d'être examinée selon une perspective comparatiste qui interroge finalement l'esthétique des deux auteurs. Car ce corps malmené, voué à la destruction, et ce Livre chimère, dont on ne peut jamais posséder la totalité, constituent tous deux la face bifrons de la figure auctoriale ; ils mènent à une réflexion, plus élaborée chez Borges que chez Lovecraft, sur le statut de l'écrivain face à l ouvre littéraire. Rêve d'immortalité sans doute pour Lovecraft, mais qui reste à l'état fantasmatique et d'ébauche quant à l'intégration de la réflexion esthétique ; quête qui se sait vouée à l'échec, mais qui trouve précisément sa raison d'être dans le fait qu'elle est quête sans espoir chez Borges, et qui, pour cette raison même, doit être poursuivie à n'importe quel prix, se réfléchissant dans l'ouvre.
 
Corpus : Lovecraft, Howard Phillips, Ouvres Complètes, 3 vol., Robert Laffont, coll. "Bouquins", 1991. Tome I : La Cité sans nom (The Nameless City, 1921), Le Festival (The Festival) 1923, L'Affaire Charles Dexter Ward (The Case of Charles Dexter Ward, 1927. Tome II : Le Livre (The Book), 1934, Borges, Jorge Luis, Ouvres Complètes, Gallimard, coll. "la Pléiade" t.  I et II, 1993. Fictions (1944) : "La Bibliothèque de Babel" (1941), reprise de "La Bibliothèque totale" (1939), "Le Jardin aux sentiers qui bifurquent" (1941-1942), "Le Sud" (1953), L'Aleph (1949), "L'Immortel" (1947), "Biographie de Tadeo Isidoro Cruz" (1944), Le Livre de sable (1975), "L'Autre" (1974), "There are more things" (1974), "Le Livre de sable" (1974). éd. espagnole de référence : Obras Completas, Emecé ed., t. I, II, III, 1989.


Corps simulés, corps imaginés : la problématique de l'existence abstraite dans les récits de Silvina Ocampo et de Adolfo Bioy Casares, par Benoît Trudel (University of Western Ontario, Université Stendhal - Grenoble III)

Silvina Ocampo et Adolfo Bioy Casares, deux écrivains du XXe parmi les plus importants en Argentine, partagent certaines stratégies d’écriture exemplaires d’une tendance propre à un groupe d’artistes sud-américain ayant comme chef de file Jorge Luis Borges. Dans le cadre de la conférence proposée, j’exposerai mes recherches sur deux œuvres, L’invention de Morel (1940) et « L’imposteur » (1948), en démontrant que chacune propose à sa manière la mise en question d’une présupposition des plus fondamentales.

En effet, L’invention de Morel de Adolfo Bioy Casares et « L’imposteur » de Silvina Ocampo offrent deux alternatives à une évidence donnée : celle de la nécessité du corps dans l’équation de l’existence humaine. Dans le roman de Bioy Casares, une existence sans corps est permise via le simulacre généré par un dispositif technologique. En revanche, dans le récit d’Ocampo, c’est la folie d’un personnage qui rend possible l’existence du narrateur. Dans les deux cas, le corps apparent (ou le « faux-corps ») se substitue bel et bien au corps biologique et « concret » qui, lui, en perd sa valeur primordiale.

C’est par une lecture rapprochée des textes en question que j’explorerai les méthodes utilisées, les dispositifs employés et surtout les significations que l’on peut tirer d’une mise en question de la nécessité du corps : implications altruistes, ambivalence des frontières catégorielles, etc.

C’est ainsi que les récits d’Ocampo et de Bioy Casares, puisqu’ils rappellent l’importance de la littérature pour déstabiliser les croyances les plus enracinées du lecteur, déversent de –et contribuent à– ce qui semble être un commentaire collectif des auteurs réunis autour de Borges.

 
Le corps fantastique au cinéma

Le corps spectralisé dans le cinéma fantastique : l'exemple de Clint Eastwood metteur en scène, par Pierre-Olivier Toulza (Doctorant en études cinématographiques et audiovisuelles, Université Paris III)

Lié depuis son origine à la représentation du corps humain (chronophotographies de Etienne-Jules Marey, phonoscope de Georges Demenÿ), et présentant des affinités avec le fantastique qui ne sont plus à démontrer, le cinéma est un lieu d'étude privilégié de la représentation du corps dans le fantastique. Cependant, la figuration du corps dans le cinéma fantastique ­ métamorphoses chez Tourneur, mutations chez Cronenberg, monstres chez Browning, vampires chez Murnau et Fisher, etc ­ loin d'être propre au cinéma, trouve origine et échos dans d'autres arts, notamment la littérature. Posant l'hypothèse, avec Nicole Brenez[1], que « le cinéma est susceptible aussi de produire des corps sans modèle », nous nous intéressons ici à l'ouvre d'un cinéaste qui, pour être habituellement considéré comme travaillant les genres classiques hollywoodiens que sont le western ou le film policier, n'a cependant jamais cessé d'approfondir une veine fantastique plus secrète, et d'interroger sans relâche le lien entre le visible et l'invisible, entre les vivants et les morts. Il s'agit ici d'étudier la figure du spectre, récurrente dans le cinéma d'Eastwood, irréductible à tout modèle et surtout débarrassée de toute dimension spectaculaire : le spectre eastwoodien ne comble pas son manque d'être par une surenchère visuelle.

En s'appuyant sur les implications de la polysémie du mot « spectre », on peut distinguer les principales caractéristiques du corps spectralisé : Souvent privé de nom et donc marqué par deux carences (absence de passé, notamment familial, et d'ancrage spatial), le spectre a pour fonction de démultiplier le même, en se jouant des costumes, des masques, et des changements de visage. Le lien du personnage spectral avec la mort s'affirme par l'épreuve de la torture ou de la « mise à mal du corps », qui met en jeu la déconstruction et la destruction symboliques du corps et aussi de l'image d'un acteur parfois considéré comme trop lisse. Constitutive de la spectralité, l'errance est le mode d'accomplissement ou de perdition du héros eastwoodien. Cette errance est indissociable du motif volontiers fantastique de la voiture, éternel contenant du corps spectralisé. Enfin, lié en cela à un des sujets majeurs du cinéma fantastique, le spectre eastwoodien trouve son mode d'incarnation dans une alternance d'apparitions et de disparitions qui a pour corollaire le jeu de l'acteur, fondé sur la prégnance du seul regard et sur une forme de disparition du corps du comédien, volontiers statique et peu expressif.

Corpus d'étude : High Plains Drifter (L'Homme des hautes plaines, Clint Eastwood, 1973), Firefox (L'Arme Absolue, Clint Eastwood, 1982), Pale Rider (Le cavalier Solitaire, Clint Eastwood, 1985), Vanessa in the Garden (Vanessa, Clint Eastwood, 1985), A Perfect World (Un Monde Parfait, Clint Eastwood, 1993), Absolute Power (Les Pleins Pouvoirs, Clint Eastwood, 1997)


Humain/inhumain : la question de l'oeil dans Blade Runner de Ridley Scott, par Thibault Franck (Doctorant en Littérature Générale et Comparée de Paris III-Sorbonne Nouvelle)

Dans le film de Ridley Scott, Blade Runner (1982), assez libre adaptation d'un roman de Philip K. Dick, Do Androids Dream of Electric Sheep (1968), la question de la représentation du corps est tout à fait centrale dans la mesure où c'est elle qui marque la frontière entre humains et Répliquants, c'est-à-dire entre humain et non-humain, entre corps le corps naturel de l'homme et celui, synthétique, de ses créatures. Or cette question de la représentation s'articule autour du motif de l'oil qui, du début à la fin du film, du gros plan d'un oil dans lequel se reflète Los Angeles jusqu'à la réplique finale de Roy Batty, invite le spectateur à s'interroger sur les rapport entre humain et non-humain, et au-delà entre humain et inhumain. Car ce motif récurrent de l'oil permet à Scott, en nous faisant passer de eye à I, de poser une question qui, à l'heure du clonage, n'a rien perdu de son actualité : qu'est-ce que l'humanité ?

[1] De la figure en général et du corps en particulier : l'invention figurative au cinéma, de Boeck Univeristé, Collection Arts et Cinéma, Paris-Bruxelles, 1998.


 
 



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